Sang froid...

Walt Horrigan porte lentement son verre à sa bouche et laisse une gorgée de whisky s'infiltrer entre ses dents et dans sa gorge. Ca brûle un peu : celui qu'on appelle le Directeur n'a pas coutume de boire, c'est un homme austère, porté sur les résultats. Et l'alcool, on le sait, a tendance à foutre en l'air les résultats.
M'enfin pour l'instant il n'en a rien à secouer. Les dernières nouvelles sont alarmantes, et les dernières nouvelles, surtout, remontent à 24 heures. Depuis l'annonce d'une frappe imminente sur l'Europe de l'Ouest, plus rien. Le spectre de la guerre thermonucléaire globale flotte dans l'air de son bureau, dans les couloirs, dans les cellules... Alors ce petit verre l'aide à conserver un peu de sang froid.
Hier il a déclaré à toute la forteresse le maintien des règles en vigueur, il a refusé de sonner l'alarme. Accepter l'idée d'une guerre dehors voudrait qu'il libère ses détenus pour s'organiser, mais Horrigan sait bien que tous les dégénérés qui croupissent à Jericho ne rêvent que de prendre le large, ou pire... Alors l'essentiel, pour l'instant, c'est de maintenir le calme, parce qu'une émeute est bien la dernière merde dont il a besoin.

"Le Directeur" finit son verre et ne le remplit pas. Il dénoue un peu sa cravatte : c'est qu'il fait chaud dans ce putain de désert. Heureusement, la climatisation fonctionne encore, et la prison est dotée de son propre générateur. Mais combien de temps fonctionnera-t-il sans ravitaillement ? Sans maintenance ?
Une goutte de sueur glisse sur le front du Directeur...

Soudain, Horrigan a une idée. Il court en trombe vers la porte, son ventre flasque ballotté par le mouvement. Avant de mettre le pied dehors, il resserre sa cravatte et s'essuie le front. Bon dieu, il ne faut pas qu'il montre qu'il flippe...

Il met les bouts vers le secteur C.

cantine

Le Directeur revient dans son bureau et reste un moment debout à la baie vitrée qui donne sur le désert. D'ici, on dirait Mars, se dit-il en allumant un cigare.

Voilà, les dés sont jetés. Voyons donc ce que ça donne...

Pendant quelques heures, il triffouille son matériel de communication à la recherche d'une piste, n'importe quoi. Finalement, au bout d'un temps qui lui paraît interminable, il saisit le micro posé sur son bureau, presse l'interrupteur, et émet une annonce.

Ceci fait, Horrigan quitte son bureau pour le placard situé dans un coin. A l'intérieur, un petit lavabo et un miroir, qu'il a faits aménager pour pouvoir se raser les lendemains de nuits blanches, fréquentes chez ce vieux type nerveux. Il retire sa veste, sa chemise, et commence à frotter son début de barbe avec un blaireau plein de savon.

En vérité, il a réussi à capter quelque chose. Un satellite relais qui maintenant a quitté la zone transmettait un bulletin d'urgence. Des chiffres inconcevables : quatre cent soixante-treize mille ogives nucléaires tirées, deux cent milles villes touchées, cinquante-huit mégatonnes, huit mille degrés Celsius... Cinq milliards huit cent millions de pertes estimées, cinq milliards de plus dans les trois ans à venir, victimes des radiations.

Sans parler des bases militaires rasées, des flottes navales coulées et des satellites canardés à coup d'ogives nucléaires. Pendant quelques instants, cette petite boule de terre et d'eau a pris feu tout entière. Dehors, le désert s'étend, plat, à perte de vue, semblable probablement au reste de la planète.

Walt Horrigan se rase consciencieusement, puis se nettoie le visage. Une fois propre il ouvre un tiroir du placard dans lequel est sagement plié le costume qu'il portait à l'inauguration de Jericho. C'est celui-ci qu'il portera pendant son discours aux prisonniers...