Allumer la télé

Les fenêtres quadruple vitrage grillagées laissent pénétrer le soleil levant du désert. La salle est vide.

Moment apprécié de la psychiatre. Venir avant que les quelques détenus autorisés prennent possession des lieux. Elle essaie sans illusion d'allumer un téléviseur, mais il ne fait que neiger dans le cadre noir.

"Il faut qu'un maton répare l'antenne..." se dit-elle à voix haute.

Bureau du Directeur

Le directeur arrive au trot de son bureau. Avisant le psychiatre, il lui fait un signe de la main alors qu'elle sort du cabinet. Remarquant que la pièce est encore vide, il regarde sa montre. Sept heures. Il se concentre une seconde, puis prend la parole.

Docteur... je veux éviter à tout prix une situation que nous ne pourrions pas contrôler. Les dernières nouvelles vont exciter tous ces détraqués. Vous savez comme ils sont...

Je veux que vous convoquiez en entretien individuel tout patient dont le dossier indique qu'il pourrait mal réagir à ce contexte. Vous pourrez être accompagnée d'un vigile si c'est nécessaire. Et bourrez-moi ces enfoirés de calmants ! Je ne veux pas qu'ils perdent leur sang froid !

Une grosse goutte glisse sur la tempe du directeur, et son col de chemise est humide. En fait, il n'a pas dormi de la nuit, et un observateur attentif remarquerait qu'il ne s'est pas changé.

Petra observe un instant son supérieur, avec le respect qu'il se doit, et acquiesse. Elle avance, ses escarpins claquant un rythme assez lent. Avec distance professionelle, elle répond :

"Horrigan, che le ferais. Mais, permettez moi de commencer par fous-même. Fous semblez mal en point... Maufaise nuit?"

Ach ! Zette zalope d'allemande savait-elle qu'elle remplaçait en rêve la main droite du Directeur dans ses nuits solitaires ? C'est qu'à force de vivre avec des mecs en sueur, on se met à fantasmer sur le premier bout de viande un peu rond qu'on croise... ceci dit, elle est bien foutue, la psy, se dit le vieil Horrigan en la jaugeant.
Assez ! Ce n'est pas le moment ! Il fait un pas en arrière et resserre encore un peu sa cravatte.

Hem... Ne vous occupez pas de moi, j'ai la situation bien en main. *Hrem* Faites plutôt le nécessaire pour que nous n'ayons pas à nous coltiner une émeute en plus d'un conflit planétaire, on a déjà assez d'emmerdes avec tous ces tordus empilés comme des poulets.

Regardant autour de lui pour se donner une contenance, le directeur reprend la parole.

Bon. Hem. Vous aurez besoin de protection ?

"Natürlich. Che fais y aller de ze pas. Aber che refiendrai en fin de chournée fous foir. La zituation est compliquée. Che comprends."

Puis elle fait volteface pour montrer le téléviseur.

"Zo, plus de chaîne? Fous n'afez pas payé la facture de la cable?" demande-t-elle un sourire en coin.

Ne soyez pas idiote... Petra. Vous permettez qu'on se tutoie ? Je crois que la situation y est plutôt propice...

Le directeur regarde au loin, à travers les grillages, vers le soleil levant. La nuit blanche et le whisky lui donnent envie de se la péter un petit peu, et pourquoi pas de tirer un coup tant qu'il est encore temps.

J'ai bien peur que le conflit ait dégénéré rapidement. Imaginez la panique chez un gouvernement qui reçoit un coup pareil... heureusement, il n'est pas nécessaire de tirer de conclusions trop hâtives : les armes nucléaires provoquent de violentes vagues électromagnétiques qui ont dû neutraliser les émetteurs de télévision.

Je suis sûr que le bouclier anti-missile de l'ONU aura permis d'éviter le pire...

"Ja. Che fais voir les détenus. Nous reparlerons de cela plus tard, Horrigan. Le tutoiement reste un peu pessimiste, malgré tout. Ce n'est pas la fin du monde encore, mein Herr."

Elle incline légèrement le visage accentuant la pénétration de son regard, afin d'être un peu rassurante. Puis, se redresse et va vers la sortie.

"Pas la fin du monde"... vous avez sans doute raison. Il le faut.

Très bien, je... je vous fais confiance, et n'oubliez pas de gaver ces oies de sédatifs !

Il s'autorise à donner une petite tape sur l'épaule de la doctoresse, puis se dirige vers la sortie.

Je vais aller donner des prérogatives spéciales aux geoliers. Bonne journée !

salle de garde

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